C’est le 31 Octobre. Alors que d’autres enfants partout dans le monde se préparent pour Halloween, vingt-quatre enfants des rues syriens vont passer la journée à Swings Camp, un parc à El Metn, Mont Liban, fait pour les pique-niques, le camping et les activités extérieures. A 8h30 à Beyrouth, le soleil brille, le ciel est dégagé. Temps agréable : le thermomètre affiche 20°C. Huit membres d’Amel Association International et un représentant de l’ONG française Samusocial International (partenaire d’Amel) se rejoignent au centre de Haret Hreik en attendant les enfants. Un bus est passé prendre ces derniers avant de les conduire, plus tard, à El Metn. Un peu plus tard, des enfants surexcités venant des banlieues Sud de Beyrouth emplissent le rez-de-chaussée du centre. Beaucoup d’entre eux vivent dans des camps informels en périphérie de Beyrouth. La plupart ne vont pas à l’école.
Ce que signifie être un enfant des rues
Un enfants en situation de rue est un enfant qui vit ou dort dans la rue, ou bien qui est amené à se retrouver dans les rues en travaillant, mendiant, ou en faisant les poubelles afin de vendre des objets. Privés d’une enfance décente et n’ayant pas eu les mêmes chances, les enfants des rues sont parmi les plus vulnérables du Liban. Ils sont exposés à l’exploitation, aux abus physiques et psychologiques et parfois aux abus sexuels. Non seulement ces enfants travaillent dans des conditions dangereuses – soulevant de lourds objets ou s’exposant à des accidents de la route – mais leur vie dans la rue a des impacts dévastateurs sur leur santé physique et leur bien-être mental. En outre, travailler dans la rue réduit considérablement les perspectives d’accès à l’éducation des enfants tout en augmentant le taux de mariage d’enfants. Au Liban, 27% des adolescentes syriennes entre 14 et 19 ans sont mariées, c’est-à-dire que plus d’une fille syrienne sur quatre est engagée dans une union qui a des chances de l’empêcher d’aller à l’école et au contraire de la forcer à travailler de façon précoce.
L’arrivée au parc d’activités et de pique-nique
Le trajet en bus d’une heure jusqu’à Swings est empli de chants et de rires. Pouvoir sortir du bruit interminable et de la pollution de la capitale est une aubaine, même pour une seule journée. En arrivant, on voit à quel point cet endroit est idyllique. D’immenses arbres s’étirent jusqu’à un ciel parfaitement dégagé. Le soleil tape mais la température reste idéale. L’air est pur et frais. Tout ce qu’on entend sont les bavardages des enfants et les instructions des enseignants pour les activités. Alors que les enfants se hissent hors du bus, ils sont répartis en deux groupes différents selon leur âge. Chacun reçoit une casquette bleue ou rouge qu’il pourra ensuite garder.
Le groupe le plus âgé commence avec le taureau mécanique. Tour à tour, chaque enfant y passe, sous les encouragements de leurs amis. Certains parviennent à s’accrocher au taureau. D’autres tombent sur le sol jonché de matelas gonflables en moins d’une seconde. Leila* (11) est la première fille à défier le taureau, servant d’exemple aux autres filles de son groupe qui après un peu d’appréhension sont maintenant motivées d’essayer à leur tour.
A l’autre bout du parc, le plus jeune groupe grimpe aux arbres, guidé par deux membres dévoués de Swings. Les enfants trouvent d’abord la tâche difficile, après tout il n’est pas si facile de grimper aux arbres, mais à mesure qu’ils apprennent à manier les mouvements, les câbles et les cordes reliant les arbres, les enfants se sentent plus à l’aise. A la fin, c’est devenu l’activité dont les enfants se souviennent le plus. Zeinab* (9), habillée en rose de la tête aux pieds, dit : « J’adore grimper aux arbres parce que je ne l’avais jamais fait avant et maintenant je sais comment le faire ! » A 11h30, il est temps de faire une pause matinale. La délicieuse odeur des mankoushe au za’atar emplissent l’air et chaque enfant se voit remettre une bouteille d’eau. Après avoir fini, on leur tend des serviettes humides.
Les activités qui suivent sont tout autant excitantes. Les plus jeunes sont emmenés pour faire du saut à l’élastique et il adore ça. Sami* (7) saute de haut en bas pendant que ses amis l’encouragent. Quand il finit, il dit, souriant jusqu’aux oreilles, « J’ai fait le plus de sauts ! ». Amira* (6) a vraiment hâte d’essayer. Une des instructrices d’Amel nous apprend qu’elle a une forte personnalité, elle est courageuse et déterminée sans avoir peur. Vient alors son tour. Elle pousse des cris de joie chaque fois qu’elle retombe sur le sol. Plus tard, nous l’apercevons qui s’amuse à courir après une poule autour du camp.
Certains enfants sont dirigés vers un arbre isolé de 15m de haut et sont défiés de le grimper. Rami* (6ans et demi) est le premier à tenter le coup. Il parvient à se hisser relativement facilement, s’arrêtant à certains moments pour décider où son pied va ensuite se placer. Quand il parvient au sommet, il sourit à la foule qui l’applaudit. « C’était très beau » dit-il, de retour au sol. “C’est mon activité préférée.”
Pendant ce temps, on emmène le groupe le plus âgé vers une énorme balançoire environnante, surnommée par le camp lui-même ‘la mère de toutes les balançoires’. Groupés deux par deux, les enfants vole presque littéralement dans les airs quand la balançoire retombe. Ali* (10) adore ça. « Mon cœur s’enfonçait dans ma poitrine ! » dit-il. Hassan* (13) et Wissam* (14) parlent avec enthousiasme lorsqu’ils descendent, ajoutant que « la balançoire était la meilleure partie pour l’instant ».
L’unité mobile de protection d’Amel
Aujourd’hui est un grand jour pour les enfants. Ils n’ont pas l’habitude d’être dehors dans la nature ni d’interagir avec d’autres enfants dans des activités qui n’ont rien à voir avec la lutte quotidienne qu’est la vie dans la rue. Une journée dehors comme celle-ci est une composante importante du projet porté par l’unité mobile de protection d’Amel (UMP), en partenariat avec Samusocial International et actuellement financé par l’Agence Française pour le Développement. Cette dernière répond aux besoins des enfants des rues dans 15 pays différents.
L’objectif du projet porté par l’UMP est de reconnecter les enfants et par extension, leurs familles aux services de base tels que le soutien psycho-social, la santé, l’éducation, la sécurité alimentaire ou encore l’aide juridique, en suivant la méthodologie de protection sociale et d’intervention dans la rue développée par Samusocial International. Les enfants sont directement identifiés par l’UMP composée d’une infirmière, un travailleur social et un chauffeur assistant social. Cette équipe va alors évaluer les besoins individuels des enfants avant de les rediriger ou les accompagner vers les centres d’Amel (ou d’autres organisations si Amel ne peut pas prendre en charge leurs besoins).
Travailler avec ces enfants est extrêmement sensible étant donné les nombreuses vulnérabilités auxquelles ils sont exposés. Souvent, les travailleurs sociaux font face à une méfiance et une peur compréhensible ainsi que de la résistance de la part des enfants eux-mêmes ou bien de leurs parents. Cependant, les visites à domicile, la distributions de petits accessoires, de nourriture, de vêtements ou de couches permet à l’équipe de tisser un « lien de confiance » avec les enfants et leurs familles. Depuis le lancement du projet en Juillet 2017, 514 enfants ont été identifiés.
Un jour pour se souvenir
En attendant le déjeuner, les enfants passent du temps sur l’aire de jeux du camp, jonchée de feuilles d’automne orange. Les filles adorent le trampoline. Elle s’amusent à compter combien de fois d’affilée elles arrivent à sauter. Elles ont essoufflées, riant tout en se bousculant l’une l’autre. A 13h30, il est temps de profiter d’un déjeuner bien mérité sur l’aire de pique-nique. Aujourd’hui, les enfants mangeront du shish tawouk (poulet mariné), des frites avec du ketchup et un jus de pomme, d’orange ou d’ananas, au choix.
Avant de retourner à Beyrouth, on fait le point avec Zeinab* (9) sur son expérience d’aujourd’hui. Elle a arboré un large sourire toute la journée. Il y a deux ans, elle vendait des mouchoirs dans la rue mais grâce au soutien d’Amel, elle est maintenant inscrite à l’école à temps plein. Lorsqu’on lui demande à quoi ressemble son quotidien maintenant elle répond : « Je me lève le matin, me prépare, fais mon lit, aide ma mère pour quelques tâches ménagères, fais quelques devoirs, prend mon petit-déjeuner avec mon père lorsqu’il revient de son travail de nuit et ensuite ma mère nous emmènent mon petit frère et moi à l’école. Je ne travaille plus désormais. Elle aime beaucoup aller à l’école. Elle apprend pleins de choses et a beaucoup d’amis.
C’est Halloween, et alors que le soleil se couche, l’équipe d’Amel distribue des petits seaux en citrouille. A l’intérieur, on retrouve un masque en citrouille, quelques biscuits et une bouteille décorée sur le thème d’Halloween. Les enfants sont ravis de leurs cadeaux, un souvenir de la journée mémorable qu’ils ont passé. En allant vers le bus, Hassan* (13) dit qu’il ne s’attendait pas à ce que la sortie soit si amusante – c’était bien mieux que ce qu’il espérait. Il a adoré les activités et s’est fait beaucoup de nouveaux amis. « J’espère qu’à l’avenir il y aura plus de jours comme celui-là. Loin de la rue. » ajoute-t-il.
L’ampleur du problème des enfants des rues
Le Liban accueille près de 500 000 enfants syriens dont beaucoup vivent dans la rue. Un rapport de l’UNICEF datant de 2015 note qu’au sein des 18 districts que compte le Liban, 1510 enfants vivaient ou travaillaient dans la rue. 73% d’entre eux étaient syriens et 2/3 étaient des garçons. Le premier entrée dans le marché du travail se déroulaient entre 7 et 14 ans, et un jour de travail moyen comptait presque 8h et demi. Les choses ne se sont pas améliorées. Un rapport des Nations Unies Liban en 2016, faisant partie du Plan de Réponse à la Crise Syrienne 2017 – 2020 estimait que le travail des enfants chez les garçons réfugiés syriens a augmenté de 4% à 7%. Les activités extérieures comme celles décrites sont cruciales afin de donner aux enfants des rues une occasion de pofiter de leur enfance dans un environnement sûr et sécurisé. Pendant une journée, ils ont joué et vécu comme tous les enfants sont censés le faire, comme tous les enfants le méritent.
*Les noms on été changés à des fins d’anonymat.