Cet article a été publié sur Lepetitjournal.com Beyrouth

Né en 1943, année de l’indépendance du Liban, à Khiam, au Liban-Sud, dans une famille de paysans, le docteur Kamel Mohanna est un homme engagé. Il fonde en 1979 l’ONG Amel Association International, devenue aujourd’hui l’une des plus grosses ONG du pays du cèdre avec 24 centres médicaux et six cliniques mobiles.

L’envie de devenir médecin

Bon en mathématiques et physiques à l’école publique, il suit les pas de son frère, devenu médecin. « Il a commencé à exercer et moi, je l’aidais à faire des piqûres et des pansements » raconte Kamel Mohanna, nostalgique. Pour combler l’envie de son fils d’étudier en France, Assad vend un morceau de terre. Kamel passe sa première année de médecine à Grenoble, où il commence à forger son activisme. Il monte une association pour les étudiants libanais à Grenoble.

Etudiant engagé

À Tours, il est élu responsable des affaires culturelles d’une association étudiante. L’année suivante, il est nommé premier secrétaire général de l’Union Générale des étudiants libanais en France.

Le 28 décembre 1968, après de multiples menaces, Israel lance une opération commando contre l’aéroport international de Beyrouth. Kamel Mohanna occupe alors les locaux de l’ambassade du Liban à Paris pour protester contre l’armée libanaise qui n’a pas réagi à cette attaque.

Un an après, lors de manifestations de soutien aux fedayins palestiniens, des affrontements opposent les Palestiniens à la gendarmerie libanaise. Le bilan est de 14 morts et plus de 80 blessés. Kamel occupe l’ambassade et le consulat à Marseille. Raymond Marcellin, ministre de l’Intérieur à l’époque, ordonne la signature d’un décret d’expulsion. Il a 48 heures pour quitter le territoire français. « À l’époque, je faisais partie de la gauche radicale. Mon avocat était Roland Dumas. Je bénéficie d’ un grand élan de sympathie. Une pétition est lancée par l’Union des étudiants de France que signera notamment Jean Paul Sartre » se souvient M. Mohanna. La décision est finalement abrogée. L’Algérie lui octroie plusieurs bourses afin qu’il puisse continuer ses études.

Sur la route de Che Guevara

Dans les années soixante-dix et ses études terminées, il rejoint les révolutionnaires dans les montagnes du Dhofar, entre le sultanat d’Oman et le Yémen. Il participe à la marche des “médecins aux pieds nus”. « C’était le Vietnam de l’Angleterre », se souvient M. Mohanna.

Retour au Liban

De retour dans son pays natal, il ouvre un cabinet à Beyrouth puis se porte volontaire pour travailler dans un camp palestinien. Lorsque la guerre civile éclate en 1975, il est le seul médecin sur place. Une délégation de Médecins sans frontières vient l’aider. Blessé et souffrant d’une hernie discale, il continue quand même d’exercer son métier. Il crée une ONG libanaise, Secours Social, qui travaille avec les Palestiniens.

En 1978, l’armée israélienne envahit le Liban-Sud. « Ma ville natale était complètement détruite », se souvient Kamel Mohanna. Sur les 35 000 habitants de Khiam, tous se sont échappés sauf 55 personnes âgées qui ne pouvaient pas se déplacer. « L’armée israélienne les a regroupés. Il y a eu un massacre collectif. Ça m’a beaucoup choqué », se rappelle-t-il. « La première maison qu’on a fait sauter et piller, c’était notre maison familiale car nous étions le symbole d’une famille paysanne qui a su résister », indique M. Mohanna.

Le Docteur Kamel Mohanna

La création d’Amel

C’est à ce moment-là qu’il décide de fonder l’ONG Amel Association International en 1979. « Mais le vrai grand départ, c’est en 1982, lors de la deuxième invasion d’Israël à Beyrouth Ouest », affirme le médecin. L’équipe de l’association réagit très vite et crée trois hôpitaux, 27 centres et achète 30 ambulances. Le Dr Mohanna fait évacuer 1200 blessés dans des hôpitaux. « Amel devient alors l’une des plus grandes ONG du pays », se souvient le pédiatre.

Aujourd’hui, 800 personnes travaillent à Amel et tous sont des « leaders ». « Dans le monde arabe, il y a le chef qui réfléchit et les partisans qui exécutent. À Amel, c’est le contraire. La société ne peut pas avancer dans ce mécanisme », estime Kamel. « Amel se développe parce que la décision émane des gens qui travaillent au sein de l’association ».

Depuis sa création, l’ONG a offert 1,8 million de services, raison pour laquelle celle-ci était candidate, en 2016, au prix Nobel de la paix.

Un modèle de changement dans le monde arabe

Selon un rapport de Oxfam International, huit personnes sur la planète détiennent autant de richesses que la moitié la plus pauvre de la population mondiale. « Personne ne choisit sa nationalité ni son pays, il faut militer pour une répartition des richesses et un état de justice sociale. Ce qui compte, c’est l’être humain » défend-t-il.

Pour le médecin, l’humanitaire est une vocation. Il ne veut et n’attend rien de personne. Menant une vie très austère, il considère que « ceux qui travaillent dans l’humanitaire doivent souffrir eux-mêmes pour sentir la souffrance des autres ».

« Le Liban est quasiment en état d’urgence depuis 40 ans », estime-t-il, mais nous luttons pour un monde plus juste et plus sûr ».

Malgré les tensions, Kamel Mohanna est optimiste pour l’avenir de sa région. Son slogan : « La pensée positive et l’optimisme permanent ».

Projets et symbole de solidarité

Selon lui, l’Europe n’applique ni les Conventions de Genève ni la Convention européenne des droits de l’homme. « Le Liban est un tout petit pays et reçoit 1,5 million de réfugiés, ce qui équivaut à 22 millions en France ». Pour Kamel Mohanna, « l’Europe devient une forteresse ».

Face à l’ampleur de cette crise, l’ONG souhaite initier une candidature commune au sein d’un projet rassembleur, symbole de solidarité avec les réfugiés. Ce projet s’articule autour des « 3 L » : Lesbos, Lampedusa, Liban. L’idée, « développer les valeurs de solidarité dans un monde où les discours populistes, xénophobes, islamophobes et identitaires sont de plus en plus répandus ».

D’ailleurs, Kamel va rencontrer le mois prochain le Secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, son « grand ami », pour suggérer que l’année prochaine soit l’année de solidarité avec les réfugiés et les plus démunis.

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